Le New Dictator Act

L’un était petit, — oui, comme l’abominable nain —, et l’autre, immense, comme le géant rescapé — Voilà ! (Il y en a trois qui suivent). Ils étaient les fruits, en quelque sorte, du paradoxe de la malédiction originelle agissant comme un traumatisme qui saurait, comme nous l’avons appris, se rappeler à l’ordre de générations en générations tant qu’elle ne serait pas réglée par un éminent spécialiste. Ils s’appelaient tous les deux Nicolas et ils étaient tous les deux nés dans une même famille politique, au point de se considérer frères dans tous les combats qu’ils mèneraient, main dans la main, s’étant juré, craché, depuis la cour de récré, dans le mode enragés contre les assistés, qu’ils iraient conquérir le monde, aimant ensemble et entretenant ensemble les privilèges de leur classe, se lançant tour à tour dans la carrière élective plus pour les innombrables options que le parcours apportait à leur distinction sociale que par dévotion pour un contrat de solidarité qui aurait, blablabla, donné une valeur inestimable à la notion-même de peuple. Pour ne pas les confondre, l’un avait été surnommé, tout simplement, le Petit, et l’autre, le Grand, car durant leurs premières années de vie commune, rien d’autre que leur taille ne les distinguait vraiment. Côté caractère, l’un était arriviste et teigneux. L’autre aussi. Et quand il fallut prendre position dans le parti, l’un le fit et l’autre aussi. Puis, quand vinrent les élections internes qui allaient désigner le candidat de la dernière chance, l’un se présenta et l’autre aussi. Difficile fut la campagne. Cruelles furent les adresses. Dans la poésie d’un discours largement médiatisé, ils rivalisèrent lorsqu’il s’agissait de développer les thèmes de l’exclusion, du patriotisme, des amalgames, des cumuls et des contradictions, prévenant, ainsi, qu’il y aurait bientôt un Patron dans l’histoire, quels que soient les résultats, quelqu’un qui déciderait et demanderait à ce que les troupes ne fassent plus que se mettre en ordre pour appliquer.

Seulement, la progression du Petit Nicolas, comparée à celle du Grand, avait été, en dehors du parti, fulgurante. Il avait été plusieurs fois ministre, voire ministre d’État, jusqu’à devenir une sorte d’incontournable numéro 2 du pouvoir, un éventuel successeur imprimant dans l’irréalité des sondages une figure malsaine de l’autoritarisme. Le Grand, ainsi repoussé au rang de l’opposition interne et mineure, stigmatisé, “Ouh ! Le vilain !”, montré du doigt, presque puni, ne fit que peu à peu disparaître de l’espace public et fut renvoyé au choix des bacs à fleurs ornant les rues de la ville dont il était l’élu, de telle sorte que lorsque vint le jour du vote, le Petit Nicolas gagna haut la main, fier de ses coups de poignards, et le Grand, perdant, partit, furieux, rogner son désir de revanche et développer son fantasme inassouvi de surpuissance en fomentant, à l’abri des regards indiscrets, de nouvelles stratégies.

Le Petit Nicolas, profitant de son immunité, commanda des lois sur mesure pour modeler le monde à sa manière, maître de tous les comptes, puis de toutes les fonctions, puis des armées, mais ce qu’il ne savait pas, c’est que le Grand, lui, non seulement appliquait les lois, mais les extrapolait au son dissonant de “L’État fait ci, l’État fait ça, alors qu’ici, l’État, c’est moi (enfin, vous)”, comme tirant incessamment la clochette de l’insurrection maltraitée grâce à laquelle seul faisait écho la permanente rengaine d’un “je n’ai pas trop le choix”. Il diminua le nombre de fonctionnaires au centuple du globalement attendu, heureux de se libérer de quelques dépenses jugées inutiles s’il voulait faire, de son côté, ses propres économies pour mettre en œuvre ses propres projets. Bref, il fit, par devant, les singeries du Grand déshérité et, par derrière, preuve d’un zèle proche du carnage, apparaissant bientôt comme le seul souverainiste qu’il faudrait choisir lors de prochaines élections.

Le Petit Nicolas se retrouva sous les projecteurs, tandis que le Grand continuait d’agir dans l’ombre, et finalement, le Petit finit par s’inscrire dans les pages nobles de Wikipedia sous l’onglet des carrières définitivement achevées, alors que le Grand brillait dans la pérennité de la vie réelle, fort agréablement établi, à son goût, dans son propre Royaume qu’il avait déjà largement étendu en installant ses propres pions, des remparts, des fossés et des polices montées. Dans ses palais luxueux, en petit comité, avec sa belle cour se réunissant dans un beau château, il avait discrètement mis en place ce qu’il appelait, seulement devant le miroir pour éviter d’être lynché sur tous les réseaux sociaux, son très personnel New Dictator Act (NDA).

En quelques mots, voici comment il avait procédé.


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