Le germe du NDA avait très certainement été planté bien avant que le Grand Nicolas n’en prenne véritablement conscience, quelques années plus tard, en pavoisant devant son miroir. Déjà, très jeune, il avait compris que la politique était un métier offert, parfois, à ceux qui avaient un excellent usage de la parole et une fine connaissance des réseaux d’influence. Premier des opportunistes à suivre le courant des anciens qui n’avaient de cesse que de penser à leur descendance en plaçant leurs outsiders un peu partout dans les cabinets ministériels, il avait vite saisi qu’une union de mouvements, ou un mouvement d’unions, dont le projet n’avait été éclairci que par la nécessité d’une belle campagne de publicité, allait être un espace d’expérimentation pour tester les petites combines qui naissaient dans son esprit chaque fois qu’il en voyait un gravir un échelon, prendre des responsabilités, comme réagissant traumatiquement au pouvoir qu’on ne lui donnait jamais et pensant, presque sincèrement, qu’il méritait pourtant mieux que tous les autres réunis.
Lors des réunions, il était souvent celui qui, au fond, profitait des petits brouhahas pour dire à son voisin, suffisamment fort pour que le voisin du voisin l’entende, et suffisamment longtemps pour que le voisin lui-même le répète au voisin du voisin, qu’il n’était pas tout à fait d’accord avec ce qui se disait à la table des décideurs, évoquant un rapport qu’il avait lu, un expert qu’il avait croisé, et dont personne, manifestement, n’avait entendu parlé. Toujours le premier à sortir et le dernier à partir, il continuait, dans les couloirs, à interpeller sans trop le montrer les auditeurs épuisés pour glisser de discrètes confessions sous forme de questions (“Mais avez-vous bien réalisé ce qui vient d’être dit pendant deux heures ?”), mélangeant les propos, confondant les prénoms, révélant qu’il avait bien remarqué des mimiques auxquelles personne, manifestement, n’avait prêté attention, mais c’est surtout en prenant tout le temps dont il disposait à n’avoir rien à faire dans son bureau de maire qu’il arrivait le mieux à se distinguer pour semer le doute et le trouble dans sa propre organisation en passant quelques coups de téléphone à quelques connaissances durant lesquelles il s’évertuait à trouver cela très distrayant de dire à une personne, puis à une autre, puis à une autre, qu’une valise pleine d’on ne savait pas trop quoi était passée sous ses yeux lorsqu’il s’était retrouvé, “tout à fait par hasard”, au siège du parti le jour où se réunissait le bureau national. Il avait même surpris des conversations entre personnes dont il s’engagerait jusqu’à la tombe à taire le nom, “par fidélité et un grand sens de l’honneur”, grâce auxquelles il avait appris que les décisions, prises à huis clos, étaient loin de refléter le courant d’opinion interne et que seuls quelques-uns, “non, non, n’insistez pas, je ne donnerai aucun nom”, maintenaient une forte influence pour des raisons qui lui échappaient, supposant, et se plaisant même à inventer, que derrière tout cela, il pouvait y avoir des trafics d’armes, des conflits d’intérêts, des gros contrats signés dans leur dos, des petits arrangements fort éloignés, disait-il avec un ton de plus en plus gaullien, des seules valeurs auxquelles il savait que les adhérents qui s’étaient engagés étaient intimement attachés, n’oubliant jamais, avant de raccrocher, de promettre à chacun qu’il allait bientôt mouiller sa chemise pour que transparence soit faite et qu’il y ait à la tête du mouvement un homme honnête, intègre et courageux, qui saurait refuser ces manières d’ancien régime pour assurer la défense d’idées nobles et réellement républicaines.
Il commença à réunir quelques faibles qu’il avait réussi à convaincre dans son propre parti qui n’allait d’abord avoir comme seul objectif, en vitrine, que de nourrir le projet global. Il excellait à trouver des noms qui plaisaient. De Noble République à Debout l’Égérie, de Vous d’Abord à Eux Après, peu importait, finalement, que les logos et les slogans changeassent au gré des échéances électorales. Il en était toujours à l’origine, le légitime, Président, tant de fois, nommé, désiré, que le mot s’était mis à briller dans sa tête comme un pouvoir qu’il avait lui-même créé.
Avec toutes ses cartes de visite, il allait, comme un seul homme, tout miser sur la territorialité. En trois années de mains serrées sur les marchés et de pots de vin déposés sur le comptoir d’un commerçant populaire (boulanger ou boucher), dans l’ombre du silence médiatique, il allait devenir la suprématie-même en installant dans ses services des fidèles qui allaient plus œuvrer pour maintenir son pouvoir que pour s’occuper de l’équité, blablabla, des finances publiques, assumant avec fierté son rôle de patron de tous les patrons, quelqu’un qu’il faudrait désormais consulter pour changer la couleur des rideaux du moindre bureau. Les urnes se remplirent. L’argent coula à flots dans les caisses. Il n’en finissait plus d’être euphorique jusqu’au jour où son propre Directeur Général des Services, chargé de lui dresser régulièrement l’avancée de ses positions, un peu gêné, lui tendit une carte où apparaissait un lieu qu’il n’avait pas encore essoré, des restes de la grande République où le mot “démocratie” trônait au frontispice, bref, un lieu où il n’avait pas encore tout le pouvoir et où il serait certainement difficile de l’obtenir.
Furieux, il vira le DGS et se promit qu’il allait jeter un pavé dans la mare et imposer, si ce n’est sa loi, au minimum, sa méthode.
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