Wotan n’a pas toujours eu d’excellentes idées. On savait déjà qu’il avait une fâcheuse tendance à draguer la faisane quand il partait soi-disant à la chasse, bouleversant à chacune de ses sorties toutes les entités en faisant du monde dont il était le maître un sulfureux camaïeu de semi-déesses, semi-pierres, presque-donzelles, souvent-mères, réduites parfois au silence, comme par enchantement, pour garantir au gardien des pactes une forme de dignité, en n’étant plus soudainement que les nappes d’une somptueuse mer de marbre. Wotan, continuant à exploiter toutes les ressources d’une nature fort généreuse, ne se souciait pas, étant lui-même assuré d’immortalité, qu’un jour puisse se jouer parmi les siens l’inextricable épilogue durant lequel il serait nécessaire de déchiffrer un auguste héritage révélant au public toutes ses forfaitures.
Cette fois-ci, il était allé un peu trop loin, ou peut-être, seulement, avait-il eu, comme on dit, les yeux plus gros que le ventre. Il s’était imaginé installer sa cour dans un immense palais au-dessus de la nature elle-même et en grand ordonnateur, il avait… ordonné… que Fafner et Fasolt, deux immenses frères avec qui personne, jusqu’à présent, n’avait osé contracté, soient les architectes-bâtisseurs de son nouveau royaume pensant, pour les convaincre d’accepter, qu’il suffirait de leur promettre comme salaire ni plus ni moins que la déesse Freia qui, grâce à ses pommes, garantissait aux Dieux le privilège de vivre en toute éternité.
La femme de Wotan, assez peu réjouie d’apprendre que, bientôt, elle serait vouée à habiter le plus majestueux des palais pour n’avoir qu’à s’y voir dépérir puis mourir, pensant déjà à l’effroi que serait l’apparition d’un premier cheveu blanc ou d’une première ride, demanda à son mari de revoir quelques clauses dans le contrat qu’il avait signé sans même la concerter. Enfin… « demanda »… disons qu’elle fit une divine scène de ménage, fracassant de divines chaises sur de divines tables, menaçant de partir avec la divine argenterie, hurlant aux divines fenêtres, alertant le divin voisinage, faisant signer des pétitions sur le change.org de son époque, allant jusqu’à hanter les nuits de l’infidèle mari en lui murmurant à l’oreille les pires oracles pour qu’il n’ait plus en rêve que la vision d’une mort annoncée au point qu’il fit tellement de bonds intersidéraux que sa vie n’était devenue qu’une longue insomnie.
La légitime finit par obtenir satisfaction. Wotan prit conseil et demanda aux architectes-bâtisseurs quel pourrait être l’équivalent du salaire qu’il leur avait promis, prétextant un alinéa qu’ils n’avaient pas bien lu. Fafner et Fasolt furent d’abord très mécontents d’être traités comme de vulgaires ouvriers et d’assister, en public, à une infâme trahison. Ils protestèrent, se mirent en grève, soulevèrent un mouvement d’opinion, et devant l’entêtement de leur patronat, réclamèrent que leur soit livré, sur le champ, l’inépuisable trésor que trois filles, dans un fleuve, protégeaient grâce à leur ensorcelante jeunesse, avant qu’un misérable désespéré ne leur subtilise en renonçant aux joies insidieuses de l’amour.
L’appât de ce nouveau gain, leur garantissant d’être les plus fortunés et donc, les plus puissants de tous les univers, fit perdre aux deux frères le goût d’une inutile éternité précaire et Wotan, voyant que l’or n’était plus protégé que par un faible, convoqua en mémoire ses meilleures stratégies et promit aux géants l’immédiate restitution du butin.
Il fut en effet assez simple de récupérer l’or en changeant le nouveau riche en crapaud, mais comme dans tout mythe qui tente de se faire respecter, il fallait une malédiction, l’abominable nain, — car, oui, hélas, le sort s’était sur lui douloureusement acharné en le faisant naître à la fois ridiculement petit et invraisemblablement laid —, maudit l’or qu’on lui volait en jurant que tous ceux qui le posséderaient, hormis lui, mourraient de la main de leurs proches et entraîneraient leur éventuelle descendance dans une fulgurante décadence.
Et ce qui devait arriver, arriva.
Wotan remit l’or aux architectes, heureux de retrouver en même temps le sourire éternel de sa femme éternelle ainsi que la paix sociale qui l’accompagnerait éternellement, et le premier qui sortit le glaive, Fafner, tua son frère Fasolt, avant de s’enfuir, transformé en horrible dragon, dans une grotte aux abords repoussants, instituant pour la nuit des temps, que pour être portée au rang de l’épopée, une aventure, aussi convaincante qu’en soit l’intrigue, se devrait désormais de commencer par un sanglant fratricide.
Quelques siècles plus tard, au pays des mortels, comme il était légitime de le craindre en les voyant prospérer, dans une ville d’hier, avec des chevaliers, l’histoire de deux Nicolas allait certainement être à l’origine de bien des mésaventures.
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