Un maelström composé de féodalités d’antan et de fascismes d’hier

Une petite goutte, si elle vient faire déborder le contenu d’un grand vase, peut être à l’origine d’un immense déversement ressemblant à s’y méprendre aux larmes que l’on trouve dans la complainte d’un jeune apprenti, devenue éternelle à l’instant-même où elle fut une première fois chantée, quand le futur grand, noble et courageux chevalier, portant encore les stigmates de ses blessures d’enfance, entre soupirs et sanglots, fit surgir de ses pieuses cordes vocales l’un des plus tristes sons que le monde aussi tourmenté qu’il fut habitué à l’être et à craindre de l’être, n’avait encore jamais entendu, un filet d’abord voilé, puis s’épurant peu à peu, dans l’aigu, une note déployée qui, se répétant, venait offrir le rythme lent d’un balancement que l’on ne pouvait deviner qu’en l’écoutant attentivement, et développer comme une mélodie de légers mouvements descendants, laissant naître cette première voyelle qui, après avoir été lentement déclinée, lentement vocalisée, gravissant lentement toutes les échelles de nuances jusqu’à faire résonner tout le corps qui la produisait, la maison d’où elle émanait, le quartier, la ville et bientôt les siècles, allait finir par composer le mot « Amour », tant de fois désiré, pour expliquer cette profonde affliction qui, du matin lorsqu’il se levait, fatigué d’en avoir toute la nuit rêvé, au soir lorsqu’il priait qu’une bonne fée l’emporte sur un grand nuage bleu, Tristan constatait son intarissable tristesse, n’espérant même plus, le regard planté au plus loin dans le miroir de ses pensées, qu’un jour cet horizon si sombre puisse être métamorphosé en un avenir radieux. Il aurait sans doute été quelque peu déçu, notre jeune apprenti, s’il avait su que cette petite goutte qui était venue provoquer tant de catastrophes n’avait été, au fond, qu’une simple inversion de normes, un simple calcul chronologique, une opération interne pour mettre à sac une opposition politique et garantir, en plus, un enrichissement personnel dont le bénéficiaire n’allait avoir ni honte ni vergogne. Il faudra peut-être, un jour, évaluer les dommages collatéraux, — comme on les appelle en temps de guerre, parfois —, que provoquent ces manœuvres vouées à ne garantir que la puissance d’un seul et même être sur un seul et même territoire, car ces dommages sont sans nul doute nombreux et douloureux si l’on mesure les plaintes que tout un chacun serait à même d’entendre ou de formuler tout au long de sa vie. Que l’on veuille coincer dans le cortex spatio-temporel paradoxal de son cerveau des projets aussi insensés qu’un maelström composé de féodalités d’antan et de fascismes d’hier, cela peut s’accepter, voire même ne pas pouvoir être évité si la seule course à la gloire, inscrite dans la plupart des gènes humains, est savamment et respectueusement prise en compte, mais que le système qui administre ces élans d’égoïsmes, ne reflétant que le souhait de subtiliser des places légitimement occupées par d’autres manières de vivre, ne permette pas d’annihiler la possibilité-même de son apparition dans l’espace public, n’est pas admissible, surtout lorsque ces petits combats de coqs provoquent l’affection grave de l’être humain, là où il a aimé, alors que ce « projet » avait été élaboré pour soi-disant maintenir les valeurs d’une République que certains, comme le Grand Nicolas, n’auront défendue qu’à coup de slogans pour encore gagner quelques courants d’adhésions, un ruisseau pour un fleuve venu emplir une marée de haine.

L’assemblée générale extraordinaire de la cellule syndicale venait de commencer, et l’un des membres les plus inquiets, voulant faire part de l’analyse qu’il s’était formulée dans la nuit, prit la parole pour rappeler qu’il faudrait tout d’abord procéder dans l’ordre et dénoncer le fait que rien ne justifiait l’arrivée d’un Super Directeur à part si l’objectif était bien de mettre le désordre dans l’échelle hiérarchique, surtout lorsqu’il suffisait grossièrement de mentionner que le Général Popov n’avait aucun diplôme permettant de devenir le chef de Tartinello qui garderait, — cela semblait logique —, toutes les prérogatives que son grade lui garantissait. Alors quoi ?, s’exclamèrent les autres, il faudrait simplement aller dans un des bureaux du Château, imprimer l’arrêté, nos documents officiels, les jurisprudences, alerter les ministères, la presse, un élu que l’on connaîtrait qui (si, si, il en existe encore) serait un peu communiste, et donc, de l’autre bord ? Il faudrait, répliqua le membre le plus inquiet, avant même que tout change, que, justement, rien ne change. C’est un point fondamental que nous devons prendre en considération avant que nous prenions collectivement la parole, car c’est cela qu’il faut comprendre : nous allons faire valoir notre droit partout où nous avons des représentants et dire qu’il y a des documents encadrant notre mode de fonctionnement. Ceux-ci ne peuvent pas être déclarés caduques aussi facilement que l’on rédige un arrêté municipal. Je dirais même plus : ils ne doivent pas être modifiés tant que le Premier conseil n’en a pas débattu et que le Second n’a pas été réuni pour voter quoi que ce soit.

Alors, une fois que les angoisses des uns et des autres furent exprimées, l’assemblée s’en remit à la foi démocratique, à la certitude que tous avaient conçu l’outil qui empêcherait qu’on vienne détruire ce qui avait mis tant d’années à mûrir et adopta à l’unanimité la position commune que tous les représentants allaient tenir lors de la prochaine réunion du Premier conseil.


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